Dans l’univers du cinéma d’animation chinois, peu de noms résonnent avec autant de force que celui de Jiǎozi. Ce réalisateur, qui a récemment explosé tous les records avec Ne Zha 2, est l’incarnation même de la persévérance et du talent brut. Pourtant, son parcours n’avait rien d’évident.
Alors que le titre Ne Zha fait les choux gras de la presse du monde entier, ici, en Occident, on connaît encore peu le prodige de l’animation qui se cache derrière ce surnom et ce succès colossal. Mais qui est donc Jiǎozi ?
Né sous le nom de Yang Yu en 1980, dans la province du Sichuan, Jiǎozi semblait prédestiné à une carrière bien éloignée du grand écran. Diplômé en pharmacie de l’université de médecine du Sichuan, il était en passe de suivre une voie stable et rassurante, encouragé par un cadre familial médical. Mais une passion profondément ancrée pour l’animation et le dessin le pousse à emprunter un chemin radicalement différent.
Le surnom Jiǎozi (qui signifie « ravioli » en chinois) a une origine amusante et révélatrice de la personnalité du réalisateur. Initialement, Yang Yu avait fondé un studio nommé « 饺克力 » (Jokelate), une combinaison des mots « 饺子 » (jiǎozi, ravioli) et « 巧克力 » (qiǎokèlì, chocolat). Il aimait l’idée de mélanger deux éléments différents – un plat chinois traditionnel et une douceur occidentale – pour symboliser une fusion culturelle. Cependant, trouvant ce nom trop compliqué, il décide finalement de ne garder que Jiǎozi, plus simple et plus percutant.
D’autre part, ses amis d’université lui avaient attribué un autre surnom : « 土豆 » (Tǔdòu, pomme de terre), en raison de la ressemblance phonétique entre son vrai nom « 杨宇 » (Yáng Yǔ) et « 洋芋 » (Yángyù, une autre façon de dire « pomme de terre » en Sichuan). Ce surnom affectueux illustre non seulement son ancrage régional, mais aussi son tempérament humble et accessible. Étudiant discret, il se distinguait pourtant par ses talents artistiques exceptionnels. Passionné par le dessin, il réalisait des illustrations d’une précision remarquable et impressionnait ses camarades par sa capacité à maîtriser des techniques complexes. Ses dessins de paysages et de personnages, influencés par le style du célèbre manhuajia Tony Wong (l’auteur de Oriental Heroes adapté au cinéma par Wilson Yip en 2006 sous le titre Dragon Tiger Gate), lui valent l’admiration de ses pairs.
Dès ses années universitaires, Jiǎozi développe un intérêt obsessionnel pour l’animation 3D, autodidacte et déterminé, il se forme seul aux logiciels les plus complexes. À une époque où ses camarades expérimentaient encore avec Photoshop et Flash, il investit dans un ordinateur haut de gamme pour apprendre Maya, un logiciel d’animation en anglais qu’il maîtrise à force de persévérance. Après un bref passage dans une agence de publicité, il fait un pari audacieux : tout quitter pour se consacrer entièrement à sa passion. Pendant plus de trois ans, il s’isole chez lui, vivant modestement grâce à la retraite de sa mère, dans un quotidien réduit à un triangle entre le salon, la chambre et la salle de bain. Un sacrifice qui portera ses fruits.
Jiǎozi était aussi un cinéphile passionné. Lorsqu’on lui demandait quels films il avait vus, il énumérait d’un trait des collections entières : l’intégralité des œuvres produites par le studio pionnier de l’animation chinoise Shanghai Animation Studio, de Hayao Miyazaki, de Mamoru Oshii, de Katsuhiro Ōtomo, de Pixar, des classiques de Disney.
En 2009, il réalise tout seul son premier court-métrage d’animation intitulé à l’internationale See Through (visible ici), une œuvre visionnaire qui le propulse sur la scène internationale et lui vaut une trentaine de prix. Son talent éclate au grand jour, prouvant que la Chine pouvait aussi produire des animations originales de haut niveau. Durant le générique de fin, Jiaozi a remercié notamment une série d’artistes qui l’ont inspiré : Wan Laiming (l’un des frères Wan qui ont été les pionniers de l’industrie de l’animation chinoise au sein de Shanghai Animation Studio), Osamu Tezuka, Akira Toriyama, le romancier Jin Yong, Jackie Chan, Stephen Chow ou encore le créateur de jeu vidéo Hideo Kojima.
C’est en 2019 que Jiǎozi frappe un grand coup avec son premier long-métrage d’animation, Ne Zha au sein du studio Coco Cartoon. Le film, qui revisite le mythe chinois L’Investiture des Dieux rencontre un succès phénoménal, cumulant plus de 5 milliards de yuans (715M$) au box-office et imposant son créateur comme un cinéaste majeur. Ce triomphe n’est pas seulement commercial : Ne Zha séduit par son approche narrative novatrice et son esthétique à la fois spectaculaire et profondément enracinée dans la culture chinoise.
Avec Ne Zha 2, Jiǎozi ne se contente pas de surfer sur le succès du premier opus. Il repousse encore les limites en intégrant trois fois plus de personnages et en multipliant les scènes d’effets spéciaux. Refusant toute concession à la facilité, il prend le temps de peaufiner chaque détail, allant jusqu’à rejeter des collaborations avec des studios internationaux lorsque ceux-ci ne répondaient pas à ses exigences de qualité. Pour lui, le véritable défi de l’animation chinoise est de conquérir le public mondial non par des artifices techniques, mais par la puissance de ses récits et la richesse de ses personnages.
Lors de la production de Ne Zha 2, Jiǎozi et son équipe ont adopté une approche méticuleuse, mettant plus de deux ans à perfectionner le scénario. Leur objectif n’était pas seulement d’améliorer l’histoire, mais aussi de créer un univers plus riche et des personnages plus profonds. Le réalisateur a insisté sur l’importance du moindre détail, affirmant que « chaque phrase devait avoir un sens, chaque performance une signification ». L’ambition technique du projet était également immense, avec plus de 2400 plans à effets spéciaux, dépassant largement ceux du premier volet. Cette quête de perfection témoigne de son engagement sans compromis envers son art et de sa volonté d’élever l’animation chinoise à un niveau inédit.
Au-delà de son talent de réalisateur, Jiǎozi incarne un esprit rebelle et indépendant, proche de celui de Ne Zha, son personnage fétiche. Refusant la fatalité, il s’est forgé un destin hors du commun, passant d’un étudiant en pharmacie à un créateur révolutionnaire du cinéma d’animation chinois. Son ascension fulgurante témoigne d’une chose essentielle : le talent, lorsqu’il est soutenu par une détermination sans faille, peut briser toutes les attentes et redéfinir un art.