[FOCUS] THE DIARY, le film d’auteur maudit réalisé par Jackie Chan

En 2018, Jackie Chan surprend en annonçant la mise en production de The Diary, un projet inattendu pour celui que le monde associe aux arts martiaux et aux cascades spectaculaires. Le film, décrit comme un drame mélodramatique teinté de comédie musicale, se déroule dans la Chine des années 1940 et l’Europe de l’Est. Loin des acrobaties qui ont fait sa renommée internationale, The Diary s’annonce comme l’œuvre la plus personnelle de l’acteur-réalisateur, un véritable film d’auteur. Pourtant, en 2025, malgré un tournage achevé, le film n’est toujours pas sorti.

L’histoire du film, coécrite par Jackie Chan et la scénariste Sun Lin (connue pour avoir coécrit le thriller Last Suspect en 2023), suit le destin de Jane, une jeune fille issue d’une famille ruinée, qui passe un accord avec l’illustre famille Fan. Dans leur manoir shanghaïen, elle découvre le journal intime d’un défunt héritier, dont les mots poétiques la plongent dans un univers parallèle d’amour et de rêves. L’intrigue oscille entre réalité et fantasme, dans une ambiance proche des romans sentimentaux de la République de Chine. Jane est incarnée par la chanteuse et actrice argentine Martina Stoessel, révélée mondialement grâce à la série Violetta produite par Disney Channel. Véritable icône pop en Amérique latine et en Europe, Martina, également connue sous son nom d’artiste Tini, a su mener en parallèle une carrière musicale internationale. Sa présence apporte au rôle de Jane une fraîcheur singulière et une sensibilité qui s’accordent naturellement au ton mélancolique du film. Le casting, résolument international, comprend également deux acteurs hollywoodiens confirmés : l’illustre Kevin Kline et Noah Centineo, connu pour son rôle d’Atom Smasher dans Black Adam (2022) et la série The Recruit sur Netflix.

Martina Stoessel sur le tournage de The Diary de Jackie Chan

 

Le film aligne également un casting chinois d’une richesse exceptionnelle, digne des plus grandes fresques historiques. On retrouve ainsi des amis personnels de Jackie Chan comme Andy Lau, les actrices Pan Hong, Jiang Wenli, Xu Fan et Kara Wai ainsi que les chanteurs-acteurs Eason Chan et Wang Leehom. Des visages populaires de la nouvelle génération tels que Li Yifeng, Neo Hou, Austin Lin, l’actrice et chanteuse Fiona Sit, Yue Yunpeng et Wei Yunxi ont également été évoqués, tout comme la vétérane Michelle Yim et le cascadeur vétéran Chin Ka Lok. Le film compte aussi sur la présence étonnante de l’actrice lyrique tchèque Julie Fritscherová et du discret comédien Kou Zhenhai. Une distribution foisonnante et transgénérationnelle qui renforce encore le caractère exceptionnel du projet.

Ce virage artistique n’est pas sans précédent dans la carrière de Jackie Chan. Dès la fin des années 1980, il cherche à s’émanciper de l’image unidimensionnelle de l’homme-orchestre et casse-cou du cinéma d’action. En 1989, il réalise Miracles (Big Brother), une comédie d’action mélodramatique raffinée inspirée de Grande Dame d’un Jour (1933) de Frank Capra. Le film, somptueusement mis en scène, révèle déjà son goût pour le classicisme hollywoodien et les récits à l’ancienne. Dans le même élan, Jackie Chan devient producteur de deux œuvres majeures de Stanley Kwan, Rouge (1987) et Center Stage (1991), deux classiques du cinéma hongkongais, à la sensibilité à mille lieues de ses films habituels. Une manière pour lui de soutenir un cinéma plus introspectif et de s’inscrire, en creux, dans une tradition auteurisante qu’on lui reconnaît peu.

Tournage de The Diary de Jackie Chan

 

Le film The Diary est produit sous la bannière de Sparkle Roll Media, dont Jackie Chan était actionnaire et visage officiel à travers le label Jackie Chan Sparkle Roll (2012-2019). Mais depuis, beaucoup de choses ont changé. En 2020, le PDG de Sparkle Roll, le milliardaire Qi Jianhong, fait face à de lourds problèmes financiers, de corruption et à des dettes impayées. Bien qu’aucune accusation pénale formelle n’ait été portée contre lui à ce jour, l’affaire jette une ombre sur la société et entraîne un blocage de plusieurs projets en cours, The Diary en tête. Jackie Chan se désengage progressivement de la société et la collaboration prend fin.

Mais un autre facteur, plus sensible, pèse encore plus lourd dans l’étrange disparition du film : la présence au casting de Jaycee Chan dans le rôle du défunt héritier, fils unique de Jackie et de sa femme, l’actrice taïwanaise Lin Feng-Jiao. Depuis sa condamnation en 2014 à six mois de prison pour possession et usage de drogue en compagnie de l’acteur taïwanais Kai Ko, Jaycee traîne une réputation sulfureuse en Chine. Libéré en février 2015, il reste persona non grata dans le show-bizz. Comble du malheur, en 2020, plusieurs ministères chinois (dont le Bureau National du Cinema) ont publié une nouvelle circulaire interdisant notamment aux artistes condamnés pour certains crimes (drogue, fraude fiscale, atteinte à la sécurité nationale, etc.) d’apparaitre publiquement, rendant tout retour médiatique officiel impossible.

Jaycee Chan et Martina Stoessel sur le tournage de The Diary de Jackie Chan

 

Avant ce scandale, Jaycee Chan s’était pourtant construit une carrière discrète mais prometteuse. Il débute dans la musique au début des années 2000, avec un premier album pop-cantonais qui, sans révolutionner la scène, révèle un certain talent pour l’écriture et l’interprétation. Il bifurque ensuite vers le cinéma avec The Twins Effect II en 2004, puis se distingue dans des rôles plus dramatiques, notamment dans les sympathiques 2 Young de Derek Yee (2005), où il partage l’affiche avec Fiona Sit et The Drummer (2007) de Kenneth Bi aux côtés de Tony Leung Ka-fai. On le retrouve également au casting dans Invisible Target (2007) de Benny Chan et Mulan: Rise of a Warrior (2009). Acteur sincère et parfois touchant, il n’a cependant jamais vraiment su s’imposer dans un cinéma populaire ultra-compétitif, souffrant d’une comparaison constante avec son illustre père. Sa sensibilité artistique le prédestinaient à des rôles plus intimistes, mais sa carrière fut brutalement stoppée par ses déboires personnels.

Avant le renforcement de la directive sur les artistes au comportement immoral, Jackie Chan a tenté, en vain, de réhabiliter son fils. Il l’avait secrètement intégré au casting principal de Railroad Tigers (2016), sans le mentionner dans la promotion. La révélation de sa présence lors de la sortie du film avait provoqué un tollé et, selon certains analystes, compromis le succès en salles (le film de Ding Sheng aurait pu aller plus loin que 100M$). Loin de se décourager, Jackie accepte par la suite de jouer dans Bleeding Steel (2017), un film d’action et de science-fiction produit par Jaycee et son ami Leo Zhang, avec qui il avait tourné l’anecdotique Chrysanthemum to the Beast (2012). En 2021, Jaycee Chan signe un premier long-métrage en tant que réalisateur, la romance urbaine Good Night Beijing, produite par Leo Zhang, portée par les Taïwanais Chen Bo-lin (Dead Talents Society) et Amber Kuo. Jackie, Nicholas Tse et Eric Tsang y font une brève apparition, mais lors de sa sortie, le nom de Jaycee n’apparaît nulle part : le distributeur utilise le pseudonyme « Zhang Xiaolei » pour dissimuler son implication.

Dans ce contexte, la présence de Jaycee dans The Diary semble avoir condamné le film à rester dans les tiroirs. Officiellement terminé depuis 2019, le film n’a jamais été présenté, ni en festival, ni en projection test, ni même en ligne. Jackie Chan avait pourtant révélé dès 2017, lors de la promotion de The Foreigner, que ce projet lui tenait particulièrement à cœur et que le scénario avait été travaillé sur une décennie. Il espérait alors en faire un film de prestige, capable de montrer une autre facette de son talent de cinéaste. Un pari courageux, mais qui, à l’heure actuelle, semble avoir été perdu d’avance.

Alors que Jackie Chan continue d’apparaître dans des productions plus commerciales, souvent avec une dimension nostalgique, The Diary reste un témoignage silencieux de ses ambitions contrariées. Un film-fantôme, maudit, qui ne verra peut-être jamais la lumière d’un projecteur.

Jackie Chan entouré des figurants sur le tournage de The Diary en République tchèque

À Propos de Tirry

Créateur et rédacteur en chef de Celestial Empire, connu également pour être le tenancier du site Jackie Chan France

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2 commentaires

  1. c’est peut être qu’une seconde chance n’existe pas chez les chinois.
    cette affaire de jaycee devrait en principe être enterré depuis belle lurette…
    Jackie connaissait les risques auxquels il encourait lorsqu’ il le castait comme acteur principal.
    ce qui me surprend le plus c’est de ne pas avoir le créneau pour une sortie hors chine.

    • Jackie le savait ? pas vraiment en faite.
      La directive sur l’interdiction d’apparaitre publiquement pour toutes personnalités publiques s’étant fait choper dans des affaires de drogues… etc, a été lancée en 2020. La production de The Diary a débuté 2 ans avant.

      Comme l’article le mentionne. Le premier coup dur a été les problèmes économiques et judiciaires du PDG de Sparkle Roll. Puis en 2021 avec cette directive.

      Par contre, comme tu le mentionnes, ça me paraît plus incompréhensible qu’il soit bloqué pour le marché étranger.

      A moins qu’ils soient bloqué en post production pour des raisons économiques. C’est possible aussi

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