Le célèbre écrivain, critique gastronomique, producteur de cinéma et figure incontournable de la culture hongkongaise, Chua Lam, s’est éteint le 25 juin 2025 à l’hôpital Hong Kong Sanatorium & Hospital, entouré de ses proches. Il avait 83 ans. Conformément à ses volontés, aucune cérémonie n’a été organisée, et son corps a été incinéré dans la plus stricte intimité.
Son assistant Yang Ao a annoncé la nouvelle sur Weibo en remerciant tous ceux qui avaient témoigné leur affection pour Chua Lam au fil des années. Le public, lui, perd bien plus qu’un visage familier : avec sa disparition, c’est la dernière figure de ceux que l’on surnommait à Hong Kong, les « quatre grands talents de Hong Kong » (aux côtés des écrivains Louis Cha (Jin Yong), Ni Kuang et du compositeur James Wong) qui tire sa révérence, marquant la fin d’une époque.
Né à Singapour en 1941, d’origine chaozhou (Guangdong), Chua Lam grandit au-dessus d’une salle de cinéma, où il développe très jeune une passion pour le septième art. À 18 ans, il part étudier la réalisation à l’université Nihon à Tokyo, tout en travaillant pour la Shaw Brothers, où il devient plus tard représentant au Japon et traducteur. En 1963, il s’installe définitivement à Hong Kong et devient l’un des piliers de la Shaw, puis vice-président du département production chez Golden Harvest, à l’invitation de Raymond Chow.

Il supervise une série de productions emblématiques de Jackie Chan — parmi lesquelles Soif de Justice (1983), First Mission (1985), Mister Dynamite (1986), City Hunter (1993), Crime Story (1993), Thunderbolt (1995) et Mr. Nice Guy (1997).
À la suite de son décès, Jackie Chan a tenu à lui rendre hommage sur son compte Weibo :
« Il y a de nombreuses années, lorsque je tournais en Europe avec Sammo Hung et Yuen Biao, une personne nous accompagnait, et elle nous a appris beaucoup de choses. À l’époque, nous n’étions que de jeunes têtes brûlées, et ses idées nous semblaient nouvelles, rafraîchissantes, inspirantes. Très jeune déjà, il avait compris ce que signifiait vraiment profiter de la vie — car pour lui, profiter de la vie, c’était justement la meilleure façon de la chérir. Il nous emmenait manger, boire, nous amuser, il nous a initiés à l’art de la dégustation, de la collection, et m’a transmis de nombreuses idées liées au cinéma. C’est pour cela que je l’appelais « mon demi-maître ».
J’ai appris son départ sur un plateau de tournage. Et à ce moment-là, ce sont les images de nos tournages à l’étranger, tous ensemble, qui me sont revenues en mémoire. Beaucoup des choses qu’il m’a enseignées, je ne les ai comprises qu’avec le temps, au fil de ma vie. Il disait que notre passage sur cette terre était un voyage, pour apprendre à vivre, à mourir, et surtout à bien vivre. Car le plus important, c’est de savoir si l’on vit dans la joie ou non. Et je sais que lui, il a vécu une vie libre et heureuse — c’est cela l’essentiel.
Monsieur Chua Lam disait un jour : « Ceux qui doivent partir finiront par partir. » On peut les regretter, mais il ne faut pas en faire trop. » Aujourd’hui, j’ai envie de lui dire : Monsieur, bon voyage. Je penserai toujours à vous, comme tant d’autres à travers le monde. »
Mais Chua Lam était aussi un esprit libre et provocateur, dont la cinéphilie ne s’arrêtait pas aux films d’action familiaux. Il fut l’un des rares producteurs à s’investir pleinement dans la vague CAT III du cinéma hongkongais des années 1990. On lui doit ainsi Story of Ricky (1992), film ultra-violent devenu culte pour son outrance cartoonesque, ainsi qu’une série d’œuvres coquines et baroques, à commencer par Robotrix (1991), la trilogie Erotic Ghost Story ou encore A Chinese Torture Chamber Story (1994), qui témoignent d’un goût assumé pour l’érotisme kitsch et l’exploration des genres. En bon hédoniste, Chua Lam revendiquait la liberté de rire, de manger et de filmer ce que bon lui semblait — quitte à choquer les esprits les plus sages.
Figure médiatique populaire, il devient également le critique gastronomique le plus célèbre du territoire. Il signe plus de 200 ouvrages, anime de nombreux programmes culinaires à la télévision, et assume le rôle de conseiller général sur la série documentaire 《舌尖上的中国》 (À la table du monde chinois). Il est également président honoraire de la World Chinese Healthy Eating Association. Épicurien érudit, il savait parler de cuisine avec poésie, mordant et humour, célébrant aussi bien les plats de grands chefs que les saveurs populaires.
Ces dernières années, Chua Lam vivait retiré, après une lourde chute en 2023 qui l’avait contraint à se déplacer en fauteuil roulant. En avril 2025, son hospitalisation avait suscité l’inquiétude, à laquelle il avait répondu sur Facebook avec son ton habituel : « Merci de votre sollicitude, rien de grave. Pas besoin de s’inquiéter. Un sourire. »
En 2024, lors d’une rare apparition à la télévision, il confiait au réalisateur Gordon Chan son désir de mourir à Hong Kong, sans douleur ni peur. « Ce serait bien de partir sans s’en rendre compte. Organiser une fête, tant qu’il reste encore des amis… Mais ils deviennent de plus en plus rares. »
Aujourd’hui, les lumières s’éteignent sur une voix à la fois érudite, impertinente et profondément humaine. Avec la disparition de Chua Lam, c’est une mémoire vivante du cinéma, de la gastronomie et de l’esprit hongkongais qui s’efface.
RIP Chua Lam (1941-2025)
L’immense Tang Chia, l’un des 4 ou 5 plus grands chorégraphes martiaux du cinéma chinois (et donc mondial) est aussi décédé récemment.