En Chine, 731, film centré sur les atrocités de l’unité japonaise éponyme durant la Seconde Guerre mondiale, s’impose comme un phénomène. Sorti le 18 septembre, le film a engrangé plus de 1,3 milliard de yuans en quatre jours (soit environ 183 millions de dollars), avec une part de marché écrasante. La date n’a rien d’anodin : elle correspond au 94ᵉ anniversaire de l’incident de Mukden, une opération sous faux drapeau orchestrée par l’armée japonaise en 1931 pour justifier l’invasion de la Mandchourie. Cet épisode marque dans la mémoire collective chinoise le point de départ de l’occupation japonaise en Asie du Nord-Est et reste l’un des traumatismes majeurs du pays.
Il faut rappeler qu’aucun procès international n’a jamais été mené contre les responsables de l’unité 731 : les États-Unis ont récupéré les données issues des expérimentations en échange de l’immunité accordée aux tortionnaires, une situation qui alimente encore aujourd’hui une plaie ouverte dans la mémoire chinoise.
Le film bénéficie d’un large soutien institutionnel : le ministère de l’Éducation a déjà organisé des projections massives dans les collèges et lycées, tandis que les entreprises et les administrations publiques sont invitées à envoyer leurs employés et fonctionnaires voir le film en groupe. Les exploitants de salles, eux aussi, sont fortement incités à programmer le film le plus largement possible, sous peine d’être mal perçus s’ils lui accordaient une visibilité moindre : soit env. 70% des séances disponibles. Ils ont été d’autant plus enclins à suivre cette directive que le calendrier a été travaillé pour l’occasion : aucune sortie majeure n’a été prévue avant le 30 septembre, début des sorties événements de la Fête nationale, tandis que les films estivaux avaient déjà largement exploité leur potentiel commercial. Cette combinaison témoigne d’une organisation des sorties ultra-efficace et finement orchestrée.
Mais derrière ce succès spectaculaire, la réception du public est catastrophique. En arrière-plan, les spectateurs parlent d’un film de « mauvais goût », qui transforme une douleur nationale en vulgaire film d’exploitation. Certains ironisent en citant la réplique d’un enfant dans le film : « Ton histoire est trop mal racontée. » Une phrase qu’ils disent vouloir adresser directement au réalisateur Zhao Linshan (réalisateur de The Assassins en 2012).
Beaucoup de critiques relèvent le contraste entre le thème et la facture visuelle : des décors et costumes trop propres, aux couleurs trop vives, donnant au film « l’aspect d’un webdrama de studio », sans la densité historique attendue. Certains parlent même de « film d’exploitation », avec une mise en scène tape-à-l’œil, un montage approximatif, et des effets gores qui relèvent davantage de la curiosité malsaine que du respect mémoriel. L’un d’eux résume : « Le niveau du scénario et de la mise en scène sont trop faibles, le réalisateur n’a clairement pas les épaules pour un tel sujet. »
D’autres dénoncent une œuvre bancale où la cruauté de l’unité 731, pourtant au cœur du sujet, disparaît presque derrière les péripéties rocambolesques, donnant l’impression d’un récit mal orienté et dramatiquement déconnecté de son enjeu.
Un avis un peu plus nuancé souligne malgré tout que 731 se tient comme un film « passable », avec un récit complet. Le final, bien que jugé artificiel, réussit à provoquer un peu d’émotion. Mais là encore, la conclusion est sans appel : « Ne liez pas la valeur historique à la qualité du film. » En d’autres termes, si l’intention commémorative est louable, le résultat artistique reste largement en deçà.
Les critiques pointent ainsi un récit brouillon, rempli d’invraisemblances et de clichés, où se côtoient évasion, espionnage, suspense et même humour mal placé.
La comparaison avec Dead to Rights revient souvent. Ce thriller signé Ao Shen (No More Bets) a convaincu par sa cohérence narrative et la maitrise de sa mise en scène. Le film a atteint le seuil des 3 milliards de yuans. 731, à l’inverse, est jugé comme opportuniste, misant sur l’émotion patriotique et la machine institutionnelle, déclenchant un effet boomerang, en décalage complet avec les attentes du public.
Malgré les 35 millions d’entrées, les sites de notations chinois n’ont pour l’heure toujours pas affiché la moyenne des spectateurs, ce qui est très mauvais signe.
En définitive, le paradoxe reste entier. Le film attire les foules parce qu’il croise plusieurs logiques puissantes : un devoir mémoriel qui pousse à rendre hommage aux victimes, une forte dimension patriotique encouragée par tout un système, mais aussi un voyeurisme malsain lié à la promesse d’images chocs. C’est ce mélange qui explique son succès fulgurant, même si, aux yeux d’une partie des cinéphiles chinois, 731 restera vraisemblablement avant tout comme un film d’exploitation, trop faible pour en capter toute la gravité de son sujet.
Reste que, face à un tel paradoxe, et au-delà des polémiques, il appartient à chacun de se faire sa propre opinion… cela va de soi.