Depuis le succès de The Shadow’s Edge à Hong Kong, Jackie Chan est la cible d’une recrudescence d’attaques médiatiques, entre vieilles rancunes, réécritures de l’histoire et diffamations pures. Trois affaires, en particulier, résument la dérive actuelle : celles impliquant l’ex-cascadeur Mars, l’ancienne actrice Mary Jean Reimer, ex-femme de Lau Kar Leung, et plus récemment, le commentateur Stephen Shiu. Toutes illustrent un même phénomène : la tentative d’abîmer l’image du dernier monument vivant du cinéma d’action hongkongais.

Mars : la mémoire déformée d’un vétéran
Tout a commencé avec une interview de Mars, début octobre. Ancien membre emblématique de la Jackie Chan Stunt Team, Mars fut un fidèle compagnon de route de Jackie Chan depuis les années 1980. Mais dans cette récente intervention que l’on pensait bienveillante, il affirme avoir été humilié et blessé sur le tournage de Drunken Master II (1994), racontant qu’une chute provoquée par un câble défectueux l’aurait grièvement blessé et rendu inapte au travail pendant trois ans.
Ces affirmations ne résistent pourtant pas à la vérification. Drunken Master II sort à Hong Kong le 3 février 1994 ; dès le 8 février 1994, le tournage de The Wrath of Silence de Frankie Chan débute, avec Mars crédité à la fois comme acteur et directeur des scènes d’action. Quelques mois plus tard, il apparaît dans Red Zone d’Edward Tang, dernier film produit par la Golden Way Films, société de Jackie Chan. En 1995, il figure encore au générique de Thunderbolt de Gordon Chan. Loin d’avoir été mis au ban, Mars a poursuivi sa carrière à un rythme soutenu, contredisant ainsi l’idée d’une longue invalidité.

Mars évoque également un différend salarial sur City Hunter (1993) de Wong Jing, prétendant avoir touché “50 000 à 60 000 HK$” alors que d’autres auraient perçu davantage. Mais cette comparaison ne tient pas : sur ce film, Jackie Chan était lui-même le réalisateur des scènes d’action, tandis que Mars occupait le poste de coordinateur. Son salaire correspondait donc à ses fonctions, sans anomalie. Il reproche aussi à Jackie Chan d’avoir fait appel à deux jeunes membres de la Stunt Team, Wong Ming-Sing et Chan Man-Ching, qu’il accuse d’avoir été placés à son niveau. En réalité, ces deux cascadeurs avaient déjà une solide expérience derrière eux et furent recrutés pour épauler Mars, dont le rythme d’exécution s’était naturellement ralenti avec les années. Jackie Chan prit personnellement en charge les coûts additionnels liés à leur présence. Ce choix n’avait rien d’un désaveu : c’était un geste réfléchi de production, destiné à préserver la sécurité et la qualité des tournages.
Dès les années 1970, le feu chorégraphe Tang Chia avait décelé le potentiel exceptionnel du jeune Jackie Chan. Il voyait en lui un élève prometteur, vif et endurant au capacité physique rare. C’est lui qui lui fit ouvrir tôt les yeux sur le métier difficile de cascadeur. Il lui conseilla de penser à l’avenir, d’investir et de se construire une stabilité hors des plateaux. Les deux hommes s’étaient croisés sur The Pirate (1973) de Chang Cheh, où Jackie n’était encore qu’un simple cascadeur.
Fort de ces conseils, Jackie Chan a toujours répété à ses équipes qu’aucun cascadeur ne peut défier le temps indéfiniment et qu’il est important de se préparer pour l’avenir, tant sur le plan individuel que pour le bien de l’équipe. La Jackie Chan Stunt Team doit ainsi sans cesse renouveler ses générations pour préserver l’esprit, la rigueur et l’excellence du groupe. C’est cette philosophie qui a permis à la team de rester active et reconnue pendant plus de quarante ans.
À cette époque, beaucoup de cascadeurs étaient également connus pour leur goût du pari et de la fête, dépensant rapidement ce qu’ils gagnaient. Ng See-Yuen, producteur vétéran au sein de sa société Seasonal Films et témoin privilégié de cette époque, expliquait déjà lors d’une entretien carrière un sujet tabou de l’industrie HK : « Les cascadeurs gagnaient bien leur vie, mais dépensaient tout aussitôt. »

Lors d’une récente apparition le 25 octobre dernier, Mars a été intérrogé sur la polémique qu’il a crée, insistant sur le fait qu’il voulait simplement « raconter les faits » sans arrière-pensée., tout en confiant que certaines frustrations de l’époque lui restaient en mémoire.
Une mémoire visibilement défaillante puisque, lors de cette même apparition, Mars a affirmé que Paul Wong, ex-membre de la Jackie Chan Stunt Team, aurait été privé d’une partie de son salaire sur le tournage de The Protector (Le Retour du Chinois) aux États-Unis en 1983. Selon Mars, cette expérience aurait motivé le départ de Paul Wong après le tournage. Pourtant, la réalité semble un peu différente: une partie de ces salaires étaient en réalité reversés à l’équipe pour être redistribués notamment en cas de coup dur, les assurances refusant de couvrir les cascadeurs de Jackie Chan en cas d’accident. De plus Paul Wong a, par la suite, travaillé sur Twinkle Twinkle Lucky Stars (1984) et Police Story (1985) participant à une des scènes mémorables comme celle où il jette le gâteau d’anniversaire au visage de Jackie. Il a ensuite quitté la team pour devenir directeur d’action sur des films comme The Big Heat (1988), Tiger Cage (1988) ou encore God of Gamblers (1990).
Si certains départs pouvaient laisser croire à des rancunes ou des injustices, ces choix s’expliquent le plus souvent par des raisons logiques professionnelles et économiques.
Après le tollé provoqué par ses déclarations et quelques retours de flammes de certains cascadeurs vétérans qui ont fait remarquer qu’ils n’avaient jamais rencontré de difficultés économiques et sous-entendent que Mars payait lui-même le prix de son mode de vie de l’époque, Mars semble néanmoins chercher à tempérer ses propos. Il a notamment admis n’avoir jamais eu tous les détails de ce qu’il affirmait et il a suggéré que Jackie pourrait lui offrir quelques films à petit budget pour lui donner du travail, notant que « dans le contexte économique actuel de Hong Kong, il est vraiment difficile de trouver du travail ». Mars a également exprimé son souhait de renouer avec Jackie Chan. On peut toutefois interroger la méthode qui consiste à critiquer publiquement son ancien mentor pour tenter de renouer ou de réparer des liens passés.
Pour autant, ces nuances et tentatives de clarification ne suffiront certainement pas à empêcher certaines interprétations biaisées, récupérées par les détracteurs idéologues et la presse à sensation hongkongaise, qui se plaît à réécrire le passé à coups de demi-vérités pour tenter d’ébranler l’image de Jackie Chan.

Mary Jean Reimer : la querelle ressuscitée
Dans la foulée, l’ancienne actrice Mary Jean Reimer (Yung Jing-Jing), ex-épouse du maître Lau Kar-Leung (Liu Chia-Liang), a profité de l’écho médiatique autour des propos mensongers de Mars pour rouvrir la vieille controverse du tournage de Drunken Master II. Sur sa chaîne en ligne, elle affirme que son défunt mari aurait été “spolié” du générique du film. Là encore, les faits contredisent cette narration. Lau Kar-Leung, alors président de la Hong Kong Stuntmen Association, est bien le seul crédité comme réalisateur sur toutes les versions officielles du film.

Jackie Chan, producteur exécutif, n’a pris en main le tournage qu’après le départ de Lau, absorbé par d’autres obligations professionnelles. Le tournage s’étant éternisé sous la direction du grand maître, la Golden Harvest demanda à Jackie de terminer le tournage, dont la mythique scène finale, unanimement saluée pour son paroxysme chorégraphique.
Le film remporta le Golden Horse Award (Taïwan) et le Hong Kong Film Award de la meilleure chorégraphie d’action en 1994, distinction partagée entre Lau Kar-Leung et la Jackie Chan Stunt Team. Lau Kar-Leung ne s’est jamais montré pour récupérer son trophée. À la cérémonie taïwanaise, Jackie Chan, par respect, laissa monter sur scène Mars, Chan Man-Sing et Wong Ming-Sing pour recevoir le prix. Un geste symbolique, fidèle à l’esprit collectif du film, à l’esprit de départ de la production, entièrement pensée comme un hommage et un soutien aux cascadeurs hongkongais.

Il ne faut pas oublier que, malgré leurs visions différentes du cinéma d’action, Jackie Chan et Lau Kar-Leung ont travaillé dans un climat de respect mutuel. Les deux hommes partageaient une admiration sincère pour leurs compétences respectives : Lau reconnaissait la précision et l’audace de Jackie dans l’exécution physique, tandis que ce dernier vouait une profonde estime au savoir martial du maître. Comme souvent sur un plateau où les ego sont mis à l’épreuve, les échanges pouvaient être vifs sur le tournage de Drunken Master II, mais toujours empreints de camaraderie et de respect, comme en témoignent ces photos ci-dessous, où l’on voit Jackie Chan et Lau Kar-Leung rire ensemble entre deux prises.
Mary Jean Reimer a également évoqué, de manière plus énigmatique, le rôle d’Eric Tsang, l’un des producteurs du film aux côtés de Leonard Ho, Edward Tang et Barbie Tung. Elle l’accuse d’avoir créé un climat de tension sur le tournage, sans jamais en préciser la nature exacte, parlant simplement de “choses très mauvaises” et de salaires “réduits à gauche et à droite”. Elle conclut en citant une phrase que son ex-époux aimait répéter : « Tant qu’on ne me provoque pas, je ne provoque personne », laissant entendre qu’elle ne dévoilerait davantage que si d’autres intervenaient publiquement.
Ironie du sort, la même année, Lau Kar-Leung réalisera un troisième épisode officieux et opportuniste, Drunken Master III (1994), avec Andy Lau, Michelle Reis et Willie Chi. Conçu comme une tentative de proposer sa propre version du film, il se révéla un échec artistique et commercial. Son absence de souffle, la pauvreté des scènes de combats et son esthétique désuète ne firent que souligner, par contraste, la virtuosité de Drunken Master II.
Rappelons enfin que Drunken Master II avait été réalisé dans le cadre d’un projet collectif destiné à soutenir la Hong Kong Stuntmen Association, à laquelle furent reversés l’ensemble des bénéfices du film. Jackie Chan y participa à titre bénévole, versant 100 000 HKD à l’association pour la construction de son futur siège. Il ne toucha qu’une prime au succès redistribuée à ses cascadeurs. On est loin de la posture victimaire que cultivent la vidéo de Mary Jean Reimer, aujourd’hui installée dans la haute société hongkongaise aux côtés de son époux Sean Eric McLean Hotung. Son intervention, mélange de nostalgie et de provocations, a trouvé un terrain fertile dans les médias à scandales hongkongais friands de ces “révélations” posthumes impossibles à vérifier. Le producteur Leonard Ho, Anita Mui et Lau Kar Leung ne sont malheureusement plus là pour y répondre.
C’est également une bien triste ironie que de voir tant d’amertume ressurgir derrière un chef-d’œuvre aussi incontesté et incontestable, témoin éclatant de l’âge d’or du cinéma hongkongais.
Stephen Shiu : de la politique à la diffamation
La dernière affaire est la plus grave. Le commentateur et producteur Stephen Shiu, personnalité médiatique connue pour ses opinions pro-démocrates et ses vidéos tournées depuis Taïwan, a tenu des propos diffamatoires d’une extrême gravité. Il accuse sans preuve Jackie Chan “d’agressions sexuelles dans le désert” et “d’exhibition dans un véhicule”, des allégations imaginaires sans témoins ni victimes identifiées.
Figure médiatique sulfureuse, Shiu fut autrefois producteur et scénariste, notamment sur To Be Number One (1991). Il s’est reconverti en commentateur politique sur internet, multipliant les attaques contre des figures du cinéma ou du gouvernement chinois. Il n’en est pas à sa première fausse information ni à sa première controverse : en 2003, il est impliqué dans un montage financier frauduleux de type pyramide de Ponzi lié à une monnaie électronique. Durant les manifestations de 2019-2020, il diffuse des commentaires trompeurs, affirmant notamment qu’une vidéo montrant un manifestant incendier un homme à Ma On Shan serait une mise en scène, des propos rapidement démentis par les autorités sanitaires.
Installé à Taïwan et désormais persona non grata à Hong Kong, Shiu a également suscité la colère de nombreux professionnels du cinéma. Le réalisateur Wong Jing l’a publiquement attaqué à plusieurs reprises, l’accusant d’avoir usurpé ou sollicité de manière opportuniste des crédits de producteur sur plusieurs films, et d’avoir exagéré son rôle dans des classiques de Stephen Chow tels que Royal Tramp (1992) ou Flirting Scholar (1993). Selon Wong Jing, Shiu n’aurait en réalité écrit qu’un seul scénario, celui de 3D Sex and Zen (2011), tout en entretenant, au fil des années, de multiples conflits et affaires d’argent dans le milieu. Ces accusations se sont ajoutées à une réputation déjà entachée, alimentant une image d’opportuniste fuyant Hong Kong pour échapper aux conséquences de ses actes.

Le 24 octobre 2025, le vétéran producteur-réalisateur Wong Jing est monté au créneau pour défendre Jackie Chan : « Stephen Shiu, ce roi autoproclamé, recommence à chercher les ennuis ! Cette fois, il utilise de simples conflits du monde des cascadeurs pour lancer des accusations sans preuves, sans témoins et sans victimes nommées. Concernant la vie privée de Jackie Chan, il prétend s’appuyer sur des “frères” anonymes – n’importe qui peut inventer ça ! » Wong Jing ajoute : « Je connais Jackie : il est charmeur mais jamais obscène. Des femmes, il en a vu défiler ; il n’a jamais eu besoin d’agresser qui que ce soit dans un désert ! Si Shiu ose parler, qu’il donne des noms, sinon qu’il se taise. Je conseille à Jackie de ne pas le laisser impuni : de le poursuivre à Taïwan pour diffamation et atteinte à sa carrière, et de demander la fermeture de sa chaîne. Qu’il perde jusqu’à son dernier sou gagné par la calomnie. Frère Jackie, je te soutiens ! »
Cette prise de position publique de la part de Wong Jing a été massivement relayée à Hong Kong, confirmant que l’affaire dépasse la simple querelle de coulisses. Le ton outrancier de Shiu, qui exploite les algorithmes de la haine et du soupçon, n’a rien d’un débat : il s’agit d’une stratégie de diffamation organisée.
Un climat d’amertume autour d’un retour en grâce
Ces trois affaires, successives et de nature différente, surgissent toutes à un moment clé : celui du retour en grâce de Jackie Chan à Hong Kong. The Shadow’s Edge approche les 7 millions HK$ au box-office local malgré un nombre restreint de séances, retrouvant une ferveur qu’on n’avait pas vue depuis Chinese Zodiac (11 MHK$) en 2012. Le film, réalisé par Larry Yang (Ride On), le voit renouer avec un public intergénérationnel et une critique unanimement positive. Lors du concert du groupe K-pop Seventeen (dont le membre Wen Junhui partage l’affiche de The Shadow’s Edge) au parc sportif de Kai Tak, son apparition sur scène a déclenché une ovation – symbole d’un acteur qui transcende les générations et reste un pont entre l’âge d’or du cinéma hongkongais et son renouveau chinois.
Mais cette retour irrite. Derrière les “témoignages” surgissent les frustrations d’un milieu éclaté et ingrats, où certains vétérans n’ont pas su saisir la transition vers la Chine continentale. Jackie Chan, en misant tôt sur la coproduction sino-hongkongaise – comme Tsui Hark et Stephen Chow, puis plus tard Daniel Lee, Johnnie To ou Dante Lam – a survécu à ce basculement là où d’autres ont été laissés pour compte. C’est aussi cette réussite – artistique, financière et symbolique – que ses détracteurs tentent aujourd’hui de fissurer, et à travers lui, atteindre (en vain évidemment) le gouvernement chinois.
Jackie Chan n’a jamais cessé de défendre les artistes et techniciens de Hong Kong, que ce soit en les formant, en les employant, ou en plaidant pour de meilleures conditions auprès des autorités notamment fasse aux triades. Il a notamment œuvré à la création de syndicats et d’associations pour structurer le travail des cascadeurs, techniciens et réalisateurs hongkongais, longtemps privés de représentation.
En Chine continentale, c’est grâce à son rôle institutionnel en tant consultant cinématographique au sein de la Conférence Consultative Politique du Peuple Chinois que Jackie Chan a pu mettre son influence au service des techniciens, cascadeurs et réalisateurs de Hong Kong, plaidant pour leur reconnaissance et favorisant leur intégration dans les productions de Chine continentale. Il a œuvré activement pour le développement et la structuration du secteur cinématographique chinois – un poste autrefois tenu par Stephen Chow et aujourd’hui occupé par Donnie Yen.
La vérité, entre faits et responsabilité
Rappeler les faits n’est pas nier les tensions d’un plateau ni blanchir un parcours. C’est exiger que la parole publique se fonde sur des preuves, pas sur des rancune et l’ingratitudes. Le cinéma hongkongais a bâti sa légende sur la loyauté, la fraternité et le risque partagé. Que ces valeurs soient aujourd’hui déformées pour nourrir des “scoops”, du click ou des querelles posthumes en dit long sur l’état du débat culturel local. On se souvient d’ailleurs du scandale “Edison Chen” de 2008, lorsque des médias hongkongais avaient relayé les photos intimes volées de Gillian Chung et Cecilia Cheung, révélant déjà ce goût malsain pour l’humiliation publique.
Malgré les tempêtes médiatiques de Hong Kong, à 71 ans, Jackie Chan demeure une figure pivot du cinéma chinois, à la fois créateur d’un âge d’or et acteur de sa renaissance, dont la trajectoire continue d’incarner la résilience et la transformation d’une industrie tout entière.
Quant à ses détracteurs, leurs cris s’éteindront bien avant sa légende.
Un grand merci à Meng, Tan et aux amis de Chine pour leur aide à la vérification. Ils se reconnaîtront.
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