Quelques jours après la clôture du Festival international du film de Tokyo, la victoire du comédien Wang Chuanjun pour le film Mothertongue continue d’alimenter une vive controverse sur les réseaux chinois.
Tout est parti d’un message posté le 3 novembre par l’actrice Bai Baihe, interprète principale du film, qui écrivait avec ironie : « On peut donc encore faire ce genre de manœuvre… ». Le commentaire, rapidement supprimé, a suffi à déclencher un flot de rumeurs. Certaines affirmaient que le « milieu shanghaïen du cinéma » aurait fait pression sur la réalisatrice Vivian Qu (Girls on Wire), membre du jury à Tokyo, pour favoriser le comédien Wang Chuanjun sous peine de voir ses futurs projets privés d’investisseurs.
Face à la polémique grandissante, Bai Baihe a pris la parole. Dans un long texte, elle raconte avoir été informée par la productrice Peng Jin qu’elle pouvait rentrer en Chine, le film ne figurant pas parmi les lauréats, et qu’elle n’était donc pas invitée à la cérémonie de clôture du 5 novembre. Elle dit avoir été « complètement mise à l’écart » par la suite. L’actrice évoque également son expérience au Festival de Busan avec Gloaming in Luomu, autre production de Peng Jin réalisée par Zhang Lü, où elle avait, selon ses mots, dû financer elle-même son déplacement. Bai Baihe confie que Zhang Lü lui avait présenté ces projets en insistant sur leurs difficultés financières, affirmant même qu’une autre comédienne s’était désistée à la dernière minute. Un argument qui l’avait poussée à tout abandonner pour s’y consacrer. Elle écrit :« Avec le recul, certaines personnes et certaines décisions ne méritaient peut-être pas d’être choisies. D’autres, plus prudentes, étaient sans doute les plus sages. » Elle conclut par une phrase devenue virale : « L’intégrité pèse plus lourd qu’une montagne, la conscience vaut plus que l’or. »
Dans le sillage de cette affaire, l’actrice Xin Zhilei, actuellement en pleine promotion du drame The Sun Rises on Us All, a elle aussi pris la plume pour défendre la probité des jurys internationaux. « J’ai lu des commentaires affirmant qu’un prix pouvait s’obtenir par “opération”. Mais qui opère ? Avec qui ? Avec de l’argent ? Un échange de capital ? Si cela était possible, pourquoi aurait-il fallu quatorze ans pour qu’on me “manipule” un prix à Venise ? Pourquoi moi et pas une autre ? » écrit-elle.
Une déclaration sincère, sans doute, mais aussi habile : depuis sa récompense vénitienne, Xin Zhilei ne manque jamais une occasion de la rappeler, y compris au détour de cette controverse, alors que son film peine à susciter l’intérêt du public chinois. En conclusion, l’actrice affirme « choisir de croire aux choses simples » et à la « pureté du cinéma ». une profession de foi touchante, mais d’une naïveté presque désarmante dans un milieu où rien n’est jamais tout à fait simple.
Contactée à Tokyo par Yuli, la réalisatrice Vivian Qu, seule membre chinoise du jury cette année, a tenu à clarifier son rôle. Elle précise avoir principalement participé à la sélection du prix du meilleur réalisateur, et non à celle des interprètes. « La compétition était particulièrement serrée cette année, et les discussions ont été menées dans un esprit d’indépendance totale », a-t-elle assuré, répondant indirectement aux soupçons de “prix arrangé” évoqués en ligne.
Reste que Wang Chuanjun (Le Studio Photo de Nankin, Dying to Survive) est, quoi qu’on en dise, un excellent comédien, l’un de ces acteurs rares capables de passer du rire à la mélancolie avec une justesse désarmante.
Au-delà du tumulte sur les réseaux sociaux chinois, cette affaire illustre la tension persistante entre visibilité internationale et méfiance locale. Si le sacre de Wang Chuanjun aurait pu marquer un succès pour le cinéma chinois d’auteur à Tokyo, il s’est transformé en nouveau champ de bataille autour de la transparence et de la loyauté dans l’industrie. Bref… bienvenue dans le petit monde feutré du cinéma notamment d’art et d’essai, où tout le monde se connaît, se congratule… et s’élimine. Un univers où la vertu affichée tient souvent lieu de valeur artistique.
Palmarès – 38e Tokyo International Film Festival (2025)
Compétition
- Tokyo Grand Prix / Governor of Tokyo Award : Palestine 36 – Annemarie Jacir
- Special Jury Prize : We Are the Fruits of the Forest – Rithy Panh
- Award for Best Director : Alessio Rigo de Righi & Matteo Zoppis – Heads or Tails?
- Award for Best Actress : Fukuchi Momoko – Echoes of Motherhood (dir. Kawase Naomi)
- Award for Best Actor : Wang Chuanjun – Mothertongue
- Award for Best Artistic Contribution : Mother – Teona Strugar Mitevska
- Audience Award : Blonde – Sakashita Yuichiro
Asian Future
- Asian Future Best Film Award : Halo – Roh Young-wan
Asian Students’ Film Conference
- Grand Prix : Floating – Lee Ji-yun (Korean Academy of Film Arts)
- Special Jury Prize : Reviving the Engine – Jung Hye-in (Korean Academy of Film Arts)
- Special Jury Prize : Forever and a Day – Chen Li-Hsuan (National Taiwan University of Arts)
Prix spéciaux
- Kurosawa Akira Award : Lee Sang-il ; Chloé Zhao
- Lifetime Achievement Award : Yamada Yoji ; Yoshinaga Sayuri
- TIFF Ethical Film Award : White House (Kasa Branca) – Luciano Vidigal
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