[FOCUS] THE SHADOW’S EDGE signe-t-il un nouvel horizon pour le cinéma de Hong-Kong ?

Alors que The Shadow’s Edge s’apprête à sortir en France ce 3 décembre, le palpitant polar d’action mené par Jackie Chan et Tony Leung Ka-fai s’impose comme un véritable événement. Non seulement parce qu’il réunit deux géants du cinéma hongkongais, Jackie Chan (71 ans) et Tony Leung Ka-fai (68 ans), qui signent ensemble un nouveau classique venant enrichir des filmographies déjà immenses, mais aussi parce qu’il pourrait bien incarner une voie nouvelle pour un cinéma hongkongais en quête de renouveau.

Sorti en août dernier en Chine continentale, The Shadow’s Edge a rapporté près de 180 millions de dollars au box-office national. Le succès critique et commercial du film a surpris jusque dans les milieux professionnels, prouvant qu’un cinéma d’action porté par une exigence de mise en scène et un ancrage fort dans le sud de la Chine peut encore trouver son public.

Un contraste d’autant plus frappant que ces dernières années, la plupart des grosses productions HK sorties en Chine continentale se sont soldées par des échecs commerciaux. Des films comme Custom Frontline, Cesium Fallout et les récents Sons of the Neon Night et Under Current ont peiné à convaincre, malgré des budgets conséquents (dont une large part provient de capitaux venus du continent) et une promotion massive. Seule l’adaptation du manhua City of Darkness a véritablement tiré son épingle du jeu, cumulant 95 millions de dollars au box-office. 

Ces échecs successifs ont eu une conséquence directe : la méfiance des investisseurs du continent. Après plusieurs coproductions coûteuses et sans véritable retour, les capitaux venus de Chine se sont peu à peu détournés des productions hongkongaises. Le flux s’est tari, laissant une industrie locale fragilisée, dépendante de budgets réduits et incapable de rivaliser avec la puissance de production du continent. 

Dans ce contexte morose, le succès de The Shadow’s Edge, tourné dans le sud de la Chine et soutenu par un bouche-à-oreille exceptionnel, apparaît comme une réussite à la fois critique et publique. 

Une industrie à la croisée des chemins

Tourné en mandarin à Macao et plus largement dans la région de la Grande Baie avec un budget estimé à seulement 20M$, le film de Larry Yang témoigne d’un basculement industriel en cours. Cette zone stratégique, qui relie Hong Kong, Macao et neuf villes de la province du Guangdong (Guangzhou, Shenzhen, Zhuhai, Foshan, Zhongshan, Dongguan, Huizhou, Jiangmen et Zhaoqing), forme une mégalopole de plus de 80 millions d’habitants, véritable pôle d’innovation culturelle et technologique du sud de la Chine.

Région à la fois unifiée et fragmentée, elle mêle le cantonais, langue historique, au mandarin, désormais dominant dans les échanges économiques et la production cinématographique, reflet d’un espace où s’articulent tradition, modernité et puissance industrielle.

Pour une industrie hongkongaise exsangue, l’ouverture vers la Grande Baie ne représenterait-elle pas, justement, une nécessité vitale ? Une chance de renouvellement à la fois économique et artistique, capable de redonner au territoire le souffle qu’il a perdu ?

La censure, faux coupable d’un vrai déclin

Contrairement aux idées reçues, ce déclin ne s’explique pas par la fameuse « censure » que certains aiment à brandir comme cause unique. Jamais la censure n’a tué un cinéma : elle l’a souvent forcé à inventer, à détourner, à symboliser. Le véritable mal hongkongais est ailleurs : dans le manque de prise de risque, le manque de nouveaux visages, la répétition de formules et le repli nostalgique. Résultat : à peine une dizaine de tournages ont été recensés cette année, signe d’un essoufflement structurel et économique. Les forces vives de l’industrie partent rejoindre le grand marché de la Chine continentale tandis que le public local, partagé entre une identité culturelle floue et un goût prononcé pour les blockbusters hollywoodiens, s’est peu à peu détourné de sa propre production.

Pendant ce temps, c’est du continent que viennent les gestes les plus forts. Ding Sheng (Saving Mr. Wu, 2015), Rao Xiaozhi (A Cool Fish, 2018), Sam Quah (A Sheep Without a Shepherd, 2019), Cao Baoping (Across the Furious Sea, 2020), Cheng Er (Hidden Blade, 2023), Mo Dai (Endless Journey, 2023), Shen Ao (No More Bets, 2023) ou Zhang Qi (Trapped, 2025) ont par exemple redéfini le thriller chinois. Leur cinéma, plus tendu, parfois plus brutal, plus social aussi, plus mature également, démontre qu’un genre autrefois dominé par Hong Kong a trouvé sur le continent un second souffle et une ambition nouvelle.

Du côté des cinéastes indépendants, Jia Zhangke, Diao Yinan, Dong Yue, Bi Gan, Wei Shujun incarnent une génération qui ose, qui questionne le pays sans chercher à plaire. Leurs films inventent une autre grammaire du réel, souvent à la lisière du fantastique ou du rêve.

Face à cette vitalité, les lignes de force économiques se sont naturellement déplacées. Les investisseurs, qu’ils soient basés à Beijing, à Shanghai ou même à Hong Kong, privilégient désormais les productions du continent. Non seulement parce qu’elles bénéficient d’un marché intérieur colossal, mais aussi parce qu’elles incarnent aujourd’hui un cinéma porteur d’énergie, d’envergure et de rentabilité. Hong Kong, avec un public local en manque de repères identitaires, ne représente plus qu’un segment mineur du paysage cinématographique chinois. L’époque où l’industrie hongkongaise finançait le rêve collectif de tout un continent est bel et bien révolue – c’est désormais les artistes de Chine continentale (notamment les cinéastes et producteurs Chen Sicheng et Ning Hao) qui dictent le rythme, les tendances et les ambitions.

Entre héritage et fraîcheur

C’est dans ce contexte que The Shadow’s Edge surgit comme une solution. Beaucoup l’ont d’abord perçu, surtout en Occident, comme une œuvre hongkongaise. Et s’il s’agit bien du remake du film Eye in the Sky de Yau Nai Hoi, produit par Johnnie To en 2007, le film n’en demeure pas moins une relecture nouvelle, repensée à l’échelle des enjeux de la Chine continentale – ceux de la surveillance de masse, de l’intelligence artificielle et de son fameux système « Sky Eye ».

Tout, de la production au casting en passant par la mise en scène, relève désormais du continent chinois. Et c’est justement cette réappropriation qui fait sa singularité : un polar chinois à l’âme hongkongaise, tourné dans la Grande Baie, où l’esthétique nerveuse et urbaine du polar cantonnais se fond dans une mise en scène plus ample, plus sophistiquée – que Larry Yang oppose judicieusement à l’humanité de ses personnages, célébrant l’expérience et le savoir-faire humain face à un monde gouverné par les caméras et les algorithmes.

Jackie Chan, 71 ans, incarne un ancien expert du pistage rattrapé par un passé trouble, face à Tony Leung Ka-fai, stratège froid et redoutable. Leur affrontement, tout en retenue et en intensité, résonne comme un écho des grandes heures du cinéma hongkongais. Autour d’eux, Zhang Zifeng et Ci Sha incarnent cette nouvelle génération venue du continent, héritière d’un savoir-faire qu’elle renouvelle avec une maturité saisissante.

Sans jamais céder au pastiche, Larry Yang signe un polar à la fois précis et habité, où l’âme du cinéma hongkongais se mêle à la modernité de la Grande Baie. Entre atmosphère nocturne et fantômes numériques, The Shadow’s Edge retrouve cette tension urbaine qui faisait jadis battre le cœur de la ville de Hong Kong, tout en la projetant vers un nouvel horizon.

Zhang Zifeng et Jackie Chan : la nouvelle génération talentueuse du continent aux côtés de l’ancienne génération légendaire de Hong Kong

 

Vers un cinéma de la Grande Baie ?

Ce dynamisme trouve d’ailleurs un écho institutionnel : fin août, China Film Group et l’Association des cercles culturels de Macao ont signé un accord stratégique pour la formation de jeunes talents, la coproduction et la diffusion d’œuvres dans la Grande Baie. Une « base de pratique » pour cinéastes émergents est déjà en place, destinée à connecter Macao au réseau de production continental, de l’écriture à la post-production. L’ambition : raconter les histoires de la région et faire de Macao une passerelle entre les cultures chinoise et internationale.

Hong Kong reste un marché minuscule : 1 115 km² pour huit millions d’habitants, soit l’équivalent d’une seule métropole mondiale. Dans un écosystème où la Chine produit plus de 700 films par an, l’avenir du cinéma hongkongais doit passer désormais par la coopération, la circulation et la fusion.

The Shadow’s Edge illustre parfaitement cette transition. Ce n’est plus un cinéma refermé sur son territoire, mais un cinéma en mouvement, irrigué par la dynamique de toute la Grande Baie. Et c’est peut-être là, dans ce mouvement, que Hong Kong retrouvera son audace : non plus en se repliant sur sa gloire passée, mais en s’inscrivant dans une région vivante, multiple, en constante invention.

Au fond, en tant que pionnier, Jackie Chan le prouve une fois encore : depuis qu’il a choisi, dès 2010, avec le superbe Little Big Soldier, de tourner majoritairement en Chine continentale, il n’a cessé, comme ses collègues Tsui Hark ou Stephen Chow plus tard, d’accompagner les mutations du cinéma chinois, là où d’autres s’entêtent à épuiser les vieilles recettes désuètes. Et si The Shadow’s Edge marque son retour au sommet, il signe aussi celui d’un cinéma prêt à renaître à l’échelle d’une nouvelle ère. Reste à savoir si l’industrie du cinéma de Hong Kong est prête à se fondre dans un territoire plus vaste, ou si elle souhaite continuer à maintenir l’illusion d’une industrie encore vivante.

À Propos de Tirry

Créateur et rédacteur en chef de Celestial Empire, connu également pour être le tenancier du site Jackie Chan France

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Un commentaire

  1. le déclin du cinéma hk, on ne peut qu’accuser la chine continentale. et bah oui, la chine continentale est fautive, je dirai le gouvernement. les restructurations et les restrictions ont permis à cette figure du cinéma mondial de s’effondrer.

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