À l’occasion de sa ressortie en version intégrale sur les écrans chinois, Seediq Bale retrouve aujourd’hui la place qui lui revient : celle d’un monument du cinéma de guerre, longtemps sous-estimé en France malgré son immense réputation en Asie. Réalisé par Wei Te-Sheng et présenté en deux parties en 2011, ce film-fleuve revient dans son montage complet, pour la première fois projeté en Chine continentale. La partie 1 arrivera le 12 décembre, suivie de la partie 2 le 13 décembre, portant l’ensemble à 276 minutes, soit plus de deux heures supplémentaires par rapport au montage exploité en 2012.
Adapté du roman graphique culte de Chiu Row-Long, qui retraçait déjà le traumatisme historique de l’incident de Wushe en 1930, Seediq Bale éclaire un chapitre essentiel de l’histoire taïwanaise. Le chef Mona Rudao, figure majeure de la résistance Seediq, y mène les siens contre l’occupation japonaise. Une lutte brève, violente, mais portée par une conviction indéfectible : protéger leur terre, leur mémoire et leur identité. Cette épopée, produite notamment par John Woo et Terence Chang, avait alors attiré l’attention de la Mostra de Venise avant d’être sélectionnée aux Oscars. Mais c’est surtout auprès du public qu’elle a bâti sa légende, conservant depuis plus de dix ans une note de 8,9 sur Douban et une réputation de film “inoubliable”, “renversant”, “dont on ne sort pas indemne”.
Le récit s’articule en deux mouvements. La première partie suit Mona Rudao, jeune guerrier redoutable mais contraint de composer avec plus de trente ans d’occupation et de pressions coloniales. Exploitation économique, humiliations, tentatives de division… Tout concourt à rallumer une colère enfouie. L’attaque de l’école de Wushe, ultime geste de rupture, marque alors le basculement vers la révolte ouverte.
La seconde partie s’empare de cette insurrection sans concession. Mona Rudao, désormais au soir de sa vie, conduit près de trois cents hommes dans une lutte désespérée contre l’armée japonaise. Wei Te-Sheng y filme la résistance autant comme un combat intérieur que comme une bataille physique : « Perdre le corps, mais sauver l’âme », répètent les guerriers. Le film trouve ici l’une de ses séquences finales les plus bouleversantes : un affrontement total, noyé dans les flammes et la fumée, où la dignité se paie au prix du sang.
Cette ampleur narrative n’aurait pas existé sans une production hors normes. Près de dix mille personnes ont été mobilisées sur plusieurs mois de tournage en pleine montagne, dans des conditions souvent extrêmes. Wei Te-Sheng et son équipe ont reconstruit des villages, des rituels et des espaces naturels afin de préserver l’authenticité culturelle seediq, jusque dans les détails des tatouages, des codes sociaux ou des traditions guerrières.
La version projetée en Chine cette année est d’autant plus importante qu’elle répare en partie la frustration laissée par le montage de 2012, qui avait supprimé pour des contraintes de temps de nombreux éléments liés aux coutumes et au mode de vie des Seediq. Ces séquences, cruciales pour comprendre les enjeux identitaires du récit, retrouvent ici leur place. Le public pourra enfin embrasser l’œuvre dans toute sa longueur, à la fois film historique, témoignage culturel et fresque guerrière d’une intensité rare.
Plus de dix ans après sa sortie, Seediq Bale revient comme un rappel puissant : certaines histoires exigent la durée et l’ampleur pour se déployer, et lorsqu’un film porte en lui autant de mémoire et de dignité, il ne s’épuise jamais.
Cette sortie inattendue est aussi une réponse aux propos récents de la Première ministre japonaise évoquant une guerre ouverte si la Chine envahissait Taïwan – une déclaration qui surprend d’autant plus que le Japon ne s’est jamais excusé pour les crimes commis durant son occupation.
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