Dans la pénombre d’un couloir, un corps frêle et voûté gravit difficilement les marches, s’accrochant à la rambarde avec des doigts noueux. Sur le rooftop, sous un ciel immense, il inscrit péniblement deux mots dans un carnet : « testament ». Ainsi commence Big World, un film bouleversant d’une profonde humanité.
Au cœur de cette œuvre, nous découvrons Liu Chunhe, interprété par Jackson Yee, un jeune homme atteint de paralysie cérébrale qui tente de trouver sa place dans l’immensité impersonnelle d’une ville bétonnée. Prisonnier d’un corps rétif, il avance, jour après jour, à la recherche d’un sens, d’une lumière, tout en essayant de réaliser le rêve de sa grand-mère, interprétée par Diana Lin.
Sorti en décembre 2024, Big World a bouleversé le public chinois. À travers le regard de Liu Chunhe, c’est tout un pan de la réalité que beaucoup ont découvert — celle, silencieuse et courageuse, des personnes vivant avec un handicap moteur. Mais ce que tous ont salué unanimement, c’est l’incroyable prestation de Jackson Yee.

Connu du grand public depuis ses débuts avec le groupe TFBoys en 2013, Jackson Yee (de son vrai nom Yi Yangqianxi), n’a cessé d’étonner par sa polyvalence et son talent. Formé à la prestigieuse Central Academy of Drama à l’université de Pékin, il s’est imposé comme un acteur de premier plan, notamment dans Better Days, Little Red Flowers, puis plus tard dans les blockbusters The Battle at Lake Changjin ou encore Full River Red de Zhang Yimou.
Mais avec Big World, il franchit à seulement 24 ans, une étape décisive. Son interprétation de Liu Chunhe est plus qu’une performance : c’est une transformation.
Reproduire fidèlement les mouvements d’une personne atteinte de paralysie cérébrale exige un travail considérable. L’exigence d’authenticité y est primordiale sous peine de perdre toute crédibilité en tant qu’acteur. Chaque geste, chaque inflexion de la voix, chaque clignement d’œil doit être maîtrisé. Pour y parvenir, Jackson Yee s’est lancé dans une préparation d’une rigueur absolument remarquable. Il a travaillé avec des médecins, des kinésithérapeutes, et rencontré des personnes vivant avec la paralysie cérébrale. Il a écouté, observé, ressenti. Il a étudié la spasticité musculaire, les déséquilibres corporels, les tensions invisibles qui façonnent un quotidien difficile.
Ce n’était pas simplement une question de technique, mais de respect, de justesse, de vérité. Il a dû désapprendre ses propres réflexes, reprogrammer son corps, modeler chacun de ses muscles comme on façonne une sculpture. Sa passion pour l’art sculptural n’y est sans doute pas étrangère. « Quand je sculpte, je libère ce qui bouillonne en moi », confiait-il dans un entretien. Une libération créatrice qu’il transpose dans son jeu d’acteur, où le corps devient un instrument d’expression et d’empathie.
Longtemps, il a répété les postures, les mouvements, les tensions. Devant un miroir, seul dans la chambre de Liu Chunhe, il a patiemment intégré ces gestes étrangers, jusqu’à ce qu’ils deviennent une seconde nature. Et même après le tournage, son corps portait encore les traces de cette immersion : un pouce qui se replie, une tête qui se tourne étrangement — comme si Liu Chunhe refusait de le quitter.
Mais le plus bouleversant reste la manière dont Jackson Yee parvient à exprimer les émotions du personnage à travers un corps entravé. Comment traduire la tristesse, la peur, l’espoir, quand chaque muscle semble s’y opposer ? Par la maîtrise, certes, mais cela implique aussi une profonde compréhension du personnage. Jackson Yee a su transmettre l’intériorité de Liu Chunhe sans jamais trahir ses limites physiques. Une performance d’une authenticité rare, qui touche au cœur.

Sur le tournage, Jackson Yee s’est imposé comme un acteur d’une exigence remarquable, toujours soucieux du moindre détail, ne se reposant jamais sur la direction d’acteur, mais portant son rôle avec responsabilité. La réalisatrice Yang Lina l’a dit avec justesse : « Il ne jouait pas, il était Liu Chunhe. »
Et c’est là toute la force de Big World : Liu Chunhe n’est pas défini par son handicap, mais par ses désirs, ses doutes, sa dignité. En lui, nous reconnaissons ce besoin d’être vu, compris et aimé. Ce miroir tendu au spectateur, Jackson Yee le façonne avec une sensibilité rare et une sincérité désarmante.
En dehors des caméras, l’acteur reste d’une discrétion exemplaire. Il fuit les projecteurs, leur préfère les silences ou les gestes posés de la sculpture. D’un naturel réfléchi, il parle peu, mais toujours avec une profondeur étonnante pour son âge. Enfant, il a été formé avec rigueur à la danse, au chant, au piano, à la calligraphie… Soit une discipline de fer, qui a fait de lui un perfectionniste. Il absorbe tout, transforme tout, sans jamais se perdre.
Jackson Yee est de ces artistes rares, capables d’habiter un personnage jusqu’à l’effacement de soi. Dans Big World, il ne s’impose pas — il s’offre. Et ce don, empreint d’humilité, bouleverse, élève, inspire.
Sans doute la performance et la transformation d’acteur la plus impressionnante de ces 30 dernières années.
Je ne saurais trop encourager les distributeurs et éditeurs français de se dépêcher d’acquérir ce film absolument bouleversant.
Big World est réalisé par la cinéaste Yang Lina (Song of Spring) avec Jackson Yee et les actrices Diana Lin et Jiang Qinqin, produit par Gengxi Films, Hengdian Entertainment, Tao Pia Piao et la China Film.